Interventions du Rabbin Charles SIMON lors des offices de Kippour
Je m’appelle Charles Simon et c’est un immense plaisir de me trouver parmi vous à l’ occasion de cette soirée qui est la plus sainte de toutes. Ce soir et demain, je vais essayer de vous parler en français. Ma prononciation n’est pas parfaite mais c’est un travail en cours.
Il se peut que j’interrompe le service de temps en temps pour vous donner quelques explications.
Ne soyez pas étonné. L’enseignement et l’apprentissage nous apporteront plus de sens tout au long de la journée.
Le livre de prières, comme la Haggadah que nous utilisons pendant les Pâques, nous servent d’outils. Une partie de mon travail consiste à expliquer les « quand et les pourquoi » dans l’espoir d’apporter un sens plus profond a cette journée.
KOL NIDRE
Est-ce qu’on peut participer au Kol Nidre même si on ne croit pas en Dieu ? Est-ce qu’on peut aussi prendre part au Jour des Expiations ?
A vrai dire, croire est un très éphémère et beaucoup d’entre nous ne sont pas vraiment sûrs en quoi nous croyons!
J’ai souvent pensé que l’étude des écrits juifs nous enseigne très peu sur Dieu mais plutôt sur nos comportements quotidiens. J’ai aussi découvert que plus je lis et j’étudie, plus je suis plongé dans le doute ! Certains théologiens affirment que pour croire, il faut pouvoir accepter de douter.
Ce soir, nous sommes rassemblés selon la tradition, pour répéter le Kol Nidre trois fois. Cette coutume ancienne nous permet d’y apporter un sens profond de l’impact que nous avons les uns sur les autres à tous âges et de dignité. Kol Nidre a une histoire plutôt mouvementée.
Il a été intégré dans notre liturgie, malgré l’opposition de quelques autorités rabbiniques. Au XIXème siècle, il fut l’objet de nombreuses attaques de certains rabbins et banni du livre de prières en Europe occidentale.
La déclaration de Kol Nidre nous pardonne, des promesses que nous nous sommes faites mais que nous n’avons pas tenues.
Il y a des personnes qui disent que nos promesses ne peuvent se référer qu’à une autre personne. Il faut bien comprendre que Kol Nidre N’EST PAS une prière. Kol Nidre ne fait aucune demande à Dieu. Kol Nidre est une déclaration devant les juges, juste avant le commencement de Yom Kippour.
Si on choisit de ne pas croire en Dieu, on peut quand même réciter Kol Nidre mais il faut se rappeler que cette fête vous concerne en tant qu’individu ainsi que votre comportement.
QUI ETAIT JONAH?
Nous savons que Jonah a vraiment existé parce que son nom est mentionné dans le Deuxième Livre Des Rois en tant que prophète du roi Hezekiah le Second qui, lui vécut au VIIIème siècle avant l’ère courante. Le livre nous engage à nous poser la question a savoir si Jonah était vraiment un prophète ou bien tout simplement un messager.
S’il avait été un prophète, il aurait entendu la voix de Dieu ou encore Dieu lui aurait parlé dans un rêve et Jonah aurait suivi ses ordres. Par contre si Jonah était un messager, il aurait entendu un message et aurait eu la liberté du choix de ses actes.
Nous savons aussi que Ninive, qui était la capitale du Royaume d’Assyrie fut détruite en l’An 612. De plus, Le Livre a été écrit au Vème siècle avant l’ère courante et à cette époque le monde était inondé prophètes, de devins et de charlatans ainsi que des pseudo-magiciens… un monde totalement différent de celui des rabbins.
Nous possédons de nombreuses interprétations de ce récit :
Les Pères de L’Eglise croyaient que Jonah avait été envoyé à Ninive parce que les Juifs avaient refusé d’écouter les paroles du prophète et donc ils pensaient que Le Livre devait servir de leçon au peuple d’Israël. Quant à David Kimhi qui vécu à Narbonne entre 1160 et 1240, il prétendait que le livre fût écrit pour servir d’exemple. Ninive était comme Sodome et si les habitants de Sodome avaient pu se repentir, ceux de Ninive en étaient capables également.
Personnellement, je pense que le Livre fait partie des prophéties non réalisées :
Jonah s’est enfui de son pays en laissant sa famille derrière et il est forcé d’aller dans un pays ou vraisemblablement il risque la mort. Après tout, c’est facile de concevoir que la mise à mort est le sort pour quelconque étranger avec des idées révolutionnaires, n’est-ce pas !
A mon avis, je pense que le Livre parle de Jérusalem : En fait, si Dieu sauvait Ninive, ne pouvait-il sauver Jérusalem en retour du repentir de ses habitants et leur épargner un décret sévère?
YOM KIPPUR
L’étude de la Torah m’a toujours passionné. Non pas par devoir ou d’en tirer des leçons mais parce que les récits sur les patriarches et les matriarches peuvent vraiment nous poser des challenges. Ces récits m’engagent à la réflexion sur ma vie et celle de ceux que j’aime. J’ai lu l’histoire d’Adam et Eve et je me pose toujours la question à savoir si cela valait la peine de sacrifier son immortalité pour l’intimité ? Pour les catholiques, manger le fruit défendu est considéré comme le péché originel parce que le texte dit : « Ils ouvrirent les yeux et s’apercevant qu’ils étaient nus, ils furent couverts de honte. »
La honte ? Pourquoi ?
Dans les premiers temps, le catholicisme prônait une naissance vierge et proclamait que le sexe n’était permis que dans le but de procréer. Bref, le sexe était considéré comme une chose sale. C’était shmutz. Le judaïsme a une approche différente. Pour nous, le péché est d’avoir enfreint la loi.
Dieu a dit : Ne mangez pas… et ils ont mangé.
Par conséquent, pas de paradis pour Adam et Eve. Chaque fois que je lis leur histoire, je me bats entre la tentation et la perte.
Quand je lis le récit de Noé, cet homme qui a subi et souffert le déplacement ultime de ses racines, je me demande ce qu’il a dû ressentir, lui qui était l’homme le plus intègre de sa génération. Comment faire confiance aux autres ? Etait-il prêt à risquer les trahisons, l’une après l’autre ? Et nous, le sommes-nous?
Et puis il y a Abraham, Sarah et Isaac et tant d’autres. Abraham dont la femme est morte de chagrin parce qu’elle croyait que son mari allait tuer leur fils. Comment vivre avec ça ? Et Isaac, dont le fils Jacob avait dû se masquer pour obtenir la bénédiction de son père et gagner son amour.
Ces personnages, nos patriarches et nos matriarches, ont survécu aussi longtemps, non pas à cause de leur grandeur mais plutôt par leur fragilité. Leurs histoires voyagent à travers’ les temps et l’univers, elles nous incitent à nous poser des questions sur nos relations, nos problèmes et nos dilemmes. Akiba était un homme qui vécut à l’époque romaine. Rabbi Akiba est connu pour la création des premières Haggadot pour les fêtes de Pâques ainsi que l’un des premiers auteurs de ce que nous appelons la Mishnah. La Mishnah est un code de droit sur lequel s’appuie le Talmud.
Un jour, on demanda à Rabbi Akiba: « Qu’est-ce qui est le plus important, l’étude ou bien la prière, répond : « L’étude, parce que l’étude mène à la pratique ». Pour certains d’entre nous étudier peut ouvrir une fenêtre dans nos cœurs et nos esprits. Lorsque cela se produit, même si on ne croit pas en Dieu, on prie selon la tradition.
Et pour beaucoup d’entre nous, c’est très difficile de prier. Quand je commence la prière en silence, l’Amidah, Amidah signifie « être debout »… pour certaines prières, on se tient debout et parfois même on se balance aussi à son propre rythme, ce qui nous aide à pénétrer au plus profond de soi-même.
Quand je commence à réciter la prière de l’Amidah, je dis: ‘‘Béni soit Dieu, Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob, Dieu de Sarah, Rebecca, de Rachel et Léa’’ et j’ajoute… ‘‘Dieu de mon fils Sam et ma belle-fille Niki et Dieu de mon père et de mes professeurs, de mes proches et mes bien-aimés. Cela m’aide à sortir les paroles des Ecritures et les placer dans mon esprit et dans mon cœur. Pour certains d’entre nous, la prière est difficile, pourtant en cette période du sabbat des Sabbats, Yom Kippour nous permet d’arrêter le temps. Certains utilisent les répétitions constantes des prières comme catalyseurs du changement d’autres préfèrent ignorer Le livre et les paroles et se livrent à la pensée seule.
Après tout, à quelle fréquence pouvez-vous prendre une journée et en faire la vôtre ? La prière est toujours dans le moment, au présent. Mais le judaïsme, dans son éclat, reconnaît également que même si nous arrêtons le temps et essayons de vivre au moment présent, on ne peut abandonner notre passé. La prière ne consiste pas à se souvenir du passé. Yizkor se souvient.
La Torah nous dit de nous rappeler notre histoire, de nous souvenir des bonnes choses et des moments où nous avons été attaqués ou blessés, ainsi que les moments de délivrance. Se souvenir est un cadeau. Autant le souvenir peut être un cadeau, autant l’oubli peut en être un également.
Les mystiques qui vivaient aux XIIe et XIIIe siècles au moment où nos ancêtres commencèrent à réciter le Yizkor, croyaient qu’à certaines périodes, dans l’année, les murs et les frontières entre les vivants et les morts s’évanouissaient et c’était possible de communiquer avec ceux qui nous avaient déjà quittés.
Cela ne devrait pas nous effrayer, au contraire cela devrait nous servir d’opportunité. Une occasion d’écouter à nouveau les paroles de ce que nous aimons et de leur parler. Peut-être ont-ils besoin d’entendre nos paroles eux aussi, et non pas des prières, juste nos paroles…et si nous prenons vraiment la peine d’écouter, alors peut-être pouvons-nous les entendre.
Rav CHARLES SIMON KIPPOUR 5778